Persécuté pendant des années par les élèves

Je ne m’en relèverai jamais tout à fait.

J’enseigne depuis 8 ans dans un lycée public de milieu plutôt favorisé du Sud-Ouest de la France, en section STG. J’avais eu plutôt la chance d’avancer rapidement dans ma carrière puisque cela fait plusieurs années que je suis au dernier échelon de la hors classe des certifiés. J’étais dynamique, innovateur, ouvert sur le monde… Mais les accidents n’arrivent pas qu’aux autres.

J’ai été littéralement persécuté par des élèves de 1ère et même de Terminale durant au moins 4 années (de 2006-2007 à 2009-2010) : harcèlement moral, perturbations d’élèves (toujours les mêmes), élèves qui refusaient de changer de place, jet de projectiles (trognons de pomme, stylos…), voire même lâcher de souris, démarches de parents dont l’enfant ne travaillait pas auprès de la Direction pour me mettre en cause, vols de documents (alors que, malgré tout, les résultats au Baccalauréat de mes élèves demeuraient plus qu’honorables), dénigrement sur Facebook ou ailleurs.

Mes classes faisaient même entre elles des concours de persécution, même si j’ai eu aussi des élèves qui me témoignaient leur sympathie ou leur estime. Il m’est arrivé une certaine année, avec une classe de 1ère, d’avoir plutôt l’impression d’être dans un hôpital de jour. Pendant plusieurs années, mes collègues ont, pour beaucoup (pas tous), réagi par le déni de la réalité, l’attentisme ou même le mépris. La théorie de la faute de la victime a sans doute été aussi appliquée à mon égard (et puis, j’avais par ailleurs, et j’ai encore, de lourdes contraintes familiales, ce qui permettait d’imputer au “personnel” ce qui en fait résultait du “professionnel”). Il a fallu que le phénomène menace de se généraliser à d’autres classes et d’autres collègues pour que la Direction réunisse Conseil de vie scolaire ou Conseil de discipline, arrivant enfin à exclure définitivement un élève (il est vrai que ses pouvoirs sont eux aussi limités, face à une judiciarisation croissante).

Je respire un peu mieux cette année, où je retrouve des conditions d’enseignement “normales” (pour combien de temps ?). J’essaie de me reconstruire, mais suis plus ou moins encore considéré par certains comme un sous-professeur. J’ai subi un grave préjudice moral, physique et financier : ma santé a beaucoup souffert, je suis souvent fatigué ; j’ai dû prendre un logement séparé de celui de mon épouse, emprunter de l’argent, j’ai perdu des opportunités alors que j’avais financièrement besoin d’effectuer des heures sup’. Ma situation matérielle est mauvaise. Ma carrière, où ce qu’il en reste, est définitivement plafonnée. J’ai été humilié à plusieurs reprises (et ce n’est peut-être pas fini). Ma vie personnelle et sociale, n’en parlons pas.

Bien entendu, si je témoigne ici, ce n’est pas pour qu’on en revienne à l’enseignement de papa ou de grand papa, celui que j’ai subi durant mes années (de bon élève) de Lycée. Mais, j’ai le sentiment d’avoir été sacrifié, moi qui avait d’excellents rapports avec mes élèves et qui était, fils du peuple, fier et heureux d’être au service de la République : et de tant d’injustice, je ne m’en relèverai sans doute jamais complètement.

— Lycée, 39 ans d’ancienneté

L’auteur de ce témoignage autorise la reprise de ce témoignage par la presse.