D’illusions en désillusion…

Après avoir travaillé de nombreuses années dans l’enseignement privé à l’étranger, à mon retour en France, j’ai voulu continuer par amour du métier, mais aussi, pour me rapprocher de mon frère handicapé et de ma maman qui avaient besoin de moi. Je suis donc entrée dans l’Académie de ma région en tant que contractuelle pour être sûre de ne pas être envoyée à l’autre bout de la France.

Ma maman et mon frère n’étant plus là aujourd’hui, après ces moments douloureux et difficiles à vivre, je me prépare donc à passer le CAPES afin de me donner un peu plus de stabilité professionnelle que maintenant, mais je dois bien avouer que j’hésite un peu…

Depuis que j’ai commencé, pas une seule fois je me suis retrouvée à la rentrée suivante dans un même établissement. J’ai été dans au moins 4 villes différentes… Même si je garde un très bon souvenir d’un des collèges dans lequel j’ai fait mon année scolaire de 2019 à 2020, ce n’est pas le cas de tous les autres.

Je suis déçue par les enseignants “titulaires” que je remplace et qui n’ont jamais pris la peine de m’indiquer sur quoi ils étaient restés avant de “tomber malades”. Aucune trace du travail effectué, rien sur les élèves… alors chaque année, c’est la même chasse aux informations, tant sur les contenus des cours déjà faits ou non, que sur l’attitude de certains élèves et leurs problèmes.

Si la première année, cela m’a assez perturbé, je m’y suis habituée et très vite adaptée. Les collègues ne sont pas non plus très sympathiques quand vous arrivez et il est assez difficile de rentrer dans leurs cercles fermés. Parfois j’y arrive assez vite, et parfois c’est plus long.

Je remarque que les enseignants de la même matière ne sont pas très altruistes ni accueillants et ne vous regardent même pas. Lorsque vous les abordez, ils n’ont jamais le temps de rester plus de 5 minutes pour parler de ce qu’ils font ou ce qu’ils ont fait, s’ils ont déjà suivi tels ou tels élèves…

J’ai l’impression de toujours devoir faire mes preuves pour pouvoir être acceptée à leurs côtés et pourtant, j’ai, face à certains, plus de diplômes qu’ils n’en ont… mais ça, je le garde pour moi.

Je me suis rendue compte au fil du temps du niveau toujours plus bas des élèves à la rentrée suivante, mais cette année est pire que tout ce que j’ai pu voir.

Je me retrouve dans un collège qui n’est pas classé REP, ni REP+, et pourtant, je retrouve dans mes classes de 3e, des enfants qui ne savent ni lire ni écrire, qui viennent sans matériel et qui s’ennuient en classe… quand ils/elles y sont, et qui perturbent fortement le bon déroulement des leçons par leur attitude en classe.
Je viens d’apprendre qu’il est désormais déconseillé de les expulser du cours quand l’ambiance devient ingérable car ces derniers rallient d’autres élèves qui refusent de travailler. On me dit que ce n’est pas grave, que comme je viens d’arriver, ils me testent. J’agis avec bienveillance, mais jusqu’à un certain point face à ces comportements et leur manque de respect envers moi.

Si avant, j’étais heureuse de me rendre au collège ou au lycée, maintenant, il m’est parfois difficile de me lever quand je sais que je vais avoir les classes à problèmes et je commence à ressentir une fatigue morale, une boule au ventre à chaque fois qui commence à me faire détester ce métier.

Si je tiens encore, c’est bien pour celles et ceux qui sont heureux de se retrouver dans mon cours et progressent malgré tout. Mais sur une classe de 30, il n’y en a malheureusement qu’une petite dizaine. Je suis heureuse de transmettre et partager ma passion pour la langue espagnole, mais je passe toujours plus de 20 minutes en tout, en discipline tout au long de l’heure de cours.
L’enseignant, aujourd’hui, doit ramasser les carnets de tous les élèves qui n’ont pas une attitude propice à l’apprentissage afin d’y écrire un mot destiné à avertir les parents. Mais il faut également écrire ce même mot sur l’interface PRONOTE.

En plus de ça, nous nous retrouvons avec de plus en plus d’élèves avec des besoins/problèmes particuliers, et pour chacun d’entre eux, nous devons décliner le cours préparé en plusieurs versions pouvant s’adapter à chaque problème. Mais il nous faudrait plus d’une semaine pour préparer une seule séance, à ce moment-là…

Je n’avais jamais vu ça. Certains adolescents se couchent sur leur table pour dormir, d’autres vous narguent lorsque vous les rappelez à l’ordre parce qu’ils sont tournés, adossés contre le mur au lieu d’être face à leur table pour travailler, d’autres arrivent avec plus de 10 mn de retard, d’autres encore vous traitent de menteuse lorsque vous les reprenez pour bavardage, ou vous demandent de rendre des comptes parce que vous leur prenez le carnet, d’autres à l’extérieur de la salle se permettent de donner des coups de pieds dans la porte lorsqu’elle est fermée

Mais s’il n’y avait qu’eux…

Les parents font de même, n’hésitant pas à vous envoyer des messages pour vous dire que si vous n’aimez pas leur enfant, qu’ils leur donnent l’autorisation de quitter mon cours en pleine séance, s’ils ne veulent plus y rester, de justifier une mauvaise note alors que l’enfant a rendu feuille blanche, ou viennent vous attendre à la sortie pour vous demander des explications de façon grossière voire “poissonnière”… et j’en passe.
J’ai même fait l’objet d’une menace de la part d’un parent dont l’enquête est en cours, parce que “j’obligeais” les enfants à porter le masque correctement dans ma classe (30 élèves et plus une seule place assise dans une petite salle).

Et puis il y a le problème lié au salaire.

Figurez-vous que lorsque vous remplacez un enseignant titulaire qui présente chaque mois son prolongement d’arrêt maladie, vous n’êtes payé que par acomptes… et que vous devez vous rendre sur ce lieu de remplacement, à vos frais, et chercher un logement pas trop cher sur place. Vous payez ensuite votre loyer principal et ses charges, le logement professionnel et ses charges, ainsi que l’essence, les péages et l’alimentation, avec vos acomptes tous les mois. Impossible à faire, tout bonnement.
Alors vous arrivez à dégoter un crédit renouvelable sur internet, et lorsque vous le recevez, vous payez les charges moins urgentes. Lors de la réception de votre acompte, vous payez le loyer professionnel, et le crédit en cours qu’il faut rendre intégralement dans les 30 jours + 3/4 euros à chaque fois, et aussitôt, vous le redemandez et le recevez de nouveau 15 jours après puis, vous payez ainsi ce qui reste à payer. Ceci, jusqu’à la fin de l’année scolaire…

L’année dernière, mon relevé fiscal était de 0 car j’ai gagné autant que ce que j’avais de charges professionnelles. Est-ce une vie ?
L’amour du métier, c’est bien beau et à chaque fois, on se dit “allez, c’est peut-être un mal pour un bien”, il ne faut pas de coupure entre deux contrats sinon, je perdrai l’opportunité de monter d’échelon plus tard… mais bon.

Honnêtement, je pense que je vais passer le concours, oui, pour ma satisfaction personnelle. Je me donne un an de plus pour voir si je suis capable d’encaisser ce déclin de l’éducation aujourd’hui.
Si j’y arrive, alors c’est bien.
Mais si je sens que mes illusions, ma motivation et mon enthousiasme ont totalement disparu, alors je changerai de métier.

—  Collège et lycée

L’auteur de ce témoignage autorise la reprise de ce témoignage par la presse.