Isolement et burn-out

Je ne souhaite pas que l’on me reconnaisse, mais je suis heureuse de libérer ma parole d’enseignante blessée.

J’ai vécu trois burn-out.
Le premier, avant d’exercer comme enseignante, à mon retour de congé maternité, puis dix ans après un burn-out pendant que j’enseignais et une rechute deux ans après, quand j’ai voulu reprendre

Le burn-out est « un état de fatigue intense et de grande détresse causé par le stress au travail ». Les origines du stress sont multiples.

 

Ma première source de stress est d’avoir été « décharge » pendant presque dix ans.

Beaucoup s’imaginent l’enseignant qui est toujours dans la même école, avec des classes d’à peu près même niveau répétant toujours la même chose… Mais il y a ceux qui stressent, parce qu’ils n’ont pas de poste fixe et qui sont même « décharge » (ils complètent des enseignants indisponibles un ou deux jours par semaine) et cela accroît la charge de travail et le stress.

En effet : ils font leur mouvement chaque année pour obtenir un poste fixe (quelle école choisir ?), ils sont affectés sur deux, trois, voire quatre écoles (chaque jour de la semaine une école différente) et ne le savent que deux ou trois jours avant la rentrée. Ce sont eux qui téléphonent aux directeurs d’école qui connaissent les coordonnées des compléments depuis juillet mais ne leur téléphonent pas… contrairement aux remplaçants… petit détail qui use au bout de dix ans, parce que personne ne se soucie que la « décharge » aimerait avoir le même temps que les autres professeurs pour préparer sa classe… C’est une source de stress et un manque de reconnaissance !

Ils changent d’école(s) chaque année… cela signifie mémoriser, adapter son organisation à chaque équipe pédagogique, chaque établissement scolaire… beaucoup d’énergie, beaucoup de stress ! Et être disponible et connectée pour les trois écoles… Trois fois plus d’informations à trier ! Deux ou trois jours avant la rentrée, ils prennent connaissance du professeur qu’ils complètent, puis, au fil de l’année, ils passent du temps à communiquer avec lui par cahier, SMS, mails, voire téléphone… encore beaucoup d’énergie et de temps non comptabilisés. Parfois, ils doivent se battre pour obtenir une clé ou un badge comme le professeur titulaire pour accéder à la classe quand ils veulent pour préparer leur journée de cours (surtout en maternelle, où il est nécessaire de connaître les jeux et leur contenu pédagogique).

Ils héritent trop souvent des matières mal aimées (grammaire) et surtout sans support pédagogique et passent beaucoup de temps et d’argent à chercher, photocopier, construire : du matériel pour les expériences scientifiques, des supports pour la géométrie (un simple cahier suffit pour le calcul !), des cartes en géographie, des cartes visuelles ou des enregistrements sonores pour les langues… Encore beaucoup d’énergie et de temps investis et en fin de compte du stress que d’autres professeurs n’ont pas !

Parfois, ils n’ont pas le sentiment d’être accueillis et reconnus, ni par le directeur de l’école, ni par ses collègues, ni par les parents et parfois pas par les élèves… C’est le professeur titulaire qui est le « vrai » professeur. Ce point est très important… car, en cas de problème, ce profil de professeur accueilli dans ce profil d’école est encore plus isolé. Voilà les causes de stress que j’ai recensées pour un métier particulier, celui de « décharge ».

 

Ma deuxième source de stress, ce sont les classes de plus en plus hétérogènes (deux ou trois groupes de niveau) et les « élèves à besoins particuliers » (ceux qui ont des problèmes d’apprentissage). On parle d’inclusion.

Un professeur investi passe de plus en plus de temps à différencier, tant au niveau de la préparation que pendant l’animation de la séance.
Un professeur qui exerçait après-guerre me disait qu’elle enseignait jusqu’à cinquante élèves… mais en ce temps-là on ne demandait pas au professeur de différencier.
Différencier, c’est au plus simple photocopier un texte en plus gros, raccourcir ou simplifier des exercices, imprimer le cours ou photocopier les notes d’un élève quand un élève n’écrit pas assez vite…

Différencier cela peut être plus compliqué : quand l’élève a un à trois niveaux en dessous de la classe (mais qu’il reste dans la classe de sa tranche d’âge : c’est une forme d’inclusion), vous devez préparer pour lui des cours spécifiques.

Quand vous avez un élève différent, c’est une petite charge de travail, mais lors de mes burn-out j’en avais beaucoup plus (au moins quatre ou cinq sur une classe de trente). Et pendant la séance, vous devez répartir le travail entre les élèves des groupes de niveaux différents et les élèves à besoins particuliers et suivre chacun d’eux.

Dans mes valeurs profondes, il y a la justice et l’équité. À mon sens, chaque élève mérite d’avoir l’attention du professeur et que celui-ci essaie d’élever son niveau de connaissance. Les élèves à besoins particuliers ne doivent pas « vampiriser » le professeur pendant les séances. C’est certainement dû au fait que j’étais une élève précoce. Je n’ai pas entendu le même discours chez certains collègues (qui semblaient même parfois considérer qu’aider les bons élèves c’était élitiste) et j’ai peut-être eu tort de défendre mon point de vue… cela m’a certainement isolée dans certaines équipes !

 

Ma troisième source de stress, et qui est à l’origine de mes deux burn-out, ce sont les élèves qui ont des troubles du comportement.

Ces troubles sont souvent d’origine sociale : élève qui subit ou qui voit ses proches subir des violences verbales, physiques ou psychiques, élève qui manque d’amour ou qui souffre sans le savoir d’un parent malade (qui lui cache sa maladie).

Parfois, cela vient d’ailleurs : l’enfant teste ses pouvoirs et fait souffrir les autres, un ou plusieurs professeurs, agit directement ou indirectement via d’autres élèves… il harcèle…

Quels sont ces troubles ?
Ils prennent la parole sans qu’on leur donne, malgré nos demandes répétées de respecter le professeur et les autres élèves. Ils ont des propos violents envers des camarades ou avec vous. Ils provoquent. Ils font du bruit au point de gêner leurs camarades ou la classe entière. Ils circulent dans la classe (entre les tables, sous ou sur votre bureau)… Ils veulent s’enfuir de la classe (élèves de GS ou de CM2). Sur ce dernier, une anecdote : puisque vous ne pouvez pas fermer la classe à clé pour des raisons de sécurité, vous devez rester postée devant la porte… ou faire semblant de fermer la porte à clé… en faisant beaucoup de bruit… et vous tournez immédiatement la clé mais cette fois-ci en silence pour pouvoir s’enfuir en cas d’incendie… mais, plus tard, les parents écriront dans une pétition que vous avez mis leurs enfants en danger alors que vous avez essayé de sécuriser et l’élève qui veut s’enfuir et les autres élèves !).
Ils détruisent le matériel (arrachent les affiches que vous avez mis des heures à concevoir et construire).
Ils sont menaçants ou violents avec leurs camarades ou avec vous.

Lors de mon premier burn-out, j’ai été agressée par un élève (accusée par un autre élève d’avoir eu un geste agressif). Je l’ai immobilisé, mais c’était violent. L’un de ses parents est venu à la pause de midi me tenir des propos violents et menaçants. Il a même eu un geste violent en frappant sur la table en face de moi. Ils ouvrent la brèche aux élèves indisciplinés que vous maîtrisiez jusqu’à présent… Ils ouvrent la brèche aux bavardages de tous les élèves.

Ils ne vous permettent plus d’enseigner, vous avez le sentiment d’être assistant social, infirmier psychiatrique.

Votre métier perd de son sens, vous vous fatiguez physiquement mais surtout moralement et cet état perdure après les cours… votre cerveau cherche une solution échappatoire même la nuit. Ils manipulent, agissent via des camarades (son clan) et ciblent leurs attaques sur quelques camarades ou quelques adultes, dont vous. Vous tenez de moins en moins bien votre classe… la spirale négative se met en route.

 

Ma quatrième source de stress, c’est le manque de soutien de collègues, et surtout d’équipes entières.

Vos collègues sont inactifs : votre classe atteint un niveau de bruit anormal, mais votre collègue à côté n’entend rien, ne vous demande pas si vous avez besoin d’aide.

Vos collègues vous isolent avec votre problème : vous demandez de l’aide (par exemple un emploi du temps réparti entre plusieurs professeurs pour gérer l’élève très perturbateur et même parfois hyperactif), mais vos collègues trouvent des excuses ou le directeur vous la refuse. « Ce sont TES élèves. Nous avons les nôtres, chacun nos problèmes. »
Vous êtes isolée. Seule. Vos collègues ne reconnaissent pas votre problème, c’est-à-dire que les élèves sont anormalement perturbateurs : « Je l’ai eu en CE1 et j’ai su le maîtriser » (il est en CM2 et a l’âge d’être en sixième… il a grandi depuis et cela ne s’est pas amélioré et les hormones de l’adolescent n’aident pas !!!).
Pourtant, un professeur a quitté l’école l’an dernier à cause d’eux… pourtant ils ont été séparés dans la cour suite à un conseil de discipline
Pourtant, il est suivi par des structures spécialisées en dehors de l’établissement !
Pourtant, la directrice a fait un burn-out l’an dernier !
Pourtant, quand vous apprendrez après votre départ que le remplaçant n’a pas su tenir la classe et que le directeur a pris l’élève perturbateur qu’une période et qu’ensuite celui-ci a été placé en établissement spécialisé

Mais cette reconnaissance, vous ne l’avez pas, ni sur l’instant, ni après coup, ni à l’oral, ni à l’écrit dans votre dossier à l’inspection !

Vos collègues vous jugent (au lieu de juger la situation) : ils médisent sur vous entre professeurs ou pire avec certains parents : vous êtes incompétent, vous ne savez pas tenir votre classe, pire ils critiquent votre savoir-être… ils s’attaquent à votre « estime de soi ».

Vos collègues agissent dans votre dos : le directeur accueille les parents sans vous, ils demandent à un conseiller pédagogique de venir, mais vous vous apercevez que l’opinion de celui-ci est entachée par le jugement du directeur ou de certains collègues.
J’ai entendu un conseiller pédagogique qui m’a demandé de faire un travail sur moi alors qu’il n’avait même pas pris connaissance du dossier de l’élève perturbateur : il était venu me juger moi et non la situation, en toute neutralité !

Vos collègues utilisent certains parents d’élèves pour vous faire craquer et vous exclure de leur équipe. Ils sèment tous les jours…

Anecdote :
Le matin, des professeurs accueillent les élèves et les parents, d’autres surveillent la cour. Là où j’ai fait mon burn-out, un professeur se réservait la place à l’accueil… c’est le même professeur au côté de parents accusateurs… et ils attendent le moment opportun tel un renard en face d’un terrier. Là, ils se réunissent avec des parents d’élèves…

 

Ma cinquième source de stress, ce sont certains parents d’élèves malveillants.

Ils colportent des rumeurs à la sortie de classe et j’ai même vu des parents s’écarter physiquement de ma classe quand cela allait mal et me regarder ensemble de loin.
Je me suis sentie jugée et humiliée.
Ils lancent des pétitions contre certains professeurs ou créent des sites Internet pour « échanger » sur un professeur.

Maintenant, je les repère :
Dans les deux écoles où j’ai fait mes deux burn-out, les représentants de parents d’élèves se sentaient chez eux à l’école. Certains circulent librement dans les couloirs. D’autres s’imposent dans votre classe : lors de réunions parents-prof (sans vous avertir et sans avoir un enfant dans la classe… mais vous vous en rendez compte après coup !).

Je ne suis pas paranoïaque :
J’ai listé au moins trois pétitions dans la première école, l’inspectrice a reconnu une surprésence des parents d’élèves… et la directrice de maternelle semble être partie en retraite un an avant l’âge légal, car elle en avait assez de ce profil de parents.
Une collègue a dû partir trois jours suite à un acte jugé inapproprié.

Ce qui fait le plus souffrir, c’est que vous ne connaissez pas le nombre et l’identité exacte des parents pétitionnaires. Lors de mon premier burn-out, je me suis rendu compte que j’avais surévalué ce nombre. Ils vous accusent de ne pas assurer la sécurité de leurs enfants, d’avoir tenu des propos inappropriés.

 

Ma sixième source de stress, c’est la hiérarchie.

Certains conseillers pédagogiques sont inutiles et détruisent l’estime de soi : ils ont souvent la réputation d’être déconnectés de la réalité du terrain et de donner des conseils inutiles. Après deux séances d’observation, un conseiller m’a donné ce conseil : « La solution est en vous. »

J’ai vu une collègue en difficulté recevoir les conseils contradictoires de deux conseillers pédagogiques et douter de sa capacité à enseigner !

Certains inspecteurs vous laissent souffrir, donnent raison aux parents et vous poussent à quitter votre poste.
J’ai eu le sentiment qu’ils sont votre chef et vous le soldat… parfois de la chair à saucisse comme un soldat sacrifié au front. « Vous êtes un fonctionnaire. » Vous devez tenir votre fonction quelles que soient les circonstances, même si vos conditions de travail sont terribles. Les élèves et les parents passent avant vous. Si vous ne savez pas faire face à une situation, vous partez. Et j’ai vu des professeurs partir parce qu’un ou deux élèves lui menaient une vie infernale.

Je crois que dans le privé, c’est surtout les élèves perturbateurs qui partent et les professeurs qui restent. J’ai même vu un inspecteur venir garder ma classe et me laisser faire face à des parents d’élèves accusateurs ! Encore l’isolement et l’abandon du groupe

La hiérarchie au-dessus de l’inspecteur est indifférente à votre situation : j’ai entendu la hiérarchie au-dessus de l’inspecteur dire que je devais m’autoformer à la gestion de classe, que c’était la quatrième compétence du professeur des écoles. Pourtant, des patrons d’entreprises payent des consultants pour sortir la tête du guidon… mais les professeurs sont des cadres de niveau A, c’est différent !

La hiérarchie constitue un dossier à charge contre vous. Je m’en suis aperçue quand j’ai voulu le consulter : aucune trace des parents qui avaient témoigné en ma faveur. Et puis, quand vous êtes arrêtée et que vous demandez combien de temps cela peut durer, ils répondent sans état d’âme : jusqu’à cinq ou sept ans.
Vous rentrez dans cette procédure et comme personne n’a inventé une autre procédure où l’on crée des équipes soudées, où l’on forme le professeur en difficulté avec son équipe, où l’on forme les parents cela continuera ainsi… Je crois que nous sommes de plus en plus nombreux dans ce cas et cela coûte cher à l’État, alors ils essaient de changer la procédure pour que cela coûte moins cher et pour cela ils embauchent des juristes (trois dans le Nord).

La hiérarchie vous demande de souffrir, de vous taire et de prendre la situation difficile à votre charge.

Une anecdote :
Une collègue a un élève difficile à gérer (il crie, monte sur les tables…), elle a reçu deux « rappels » parce que des parents se sont plaints à l’inspectrice, puis elle a été conviée à faire face à un jury au rectorat où elle a dû faire son mea culpa. Elle devra changer d’école en fin d’année.
Sans son mea culpa, elle aurait pu avoir son salaire gelé, voire diminué et être affectée dans une école encore plus difficile. Elle se forme par elle-même pour trouver une solution…

Voilà pourquoi les professeurs se taisent. La menace, la peur…

Je suis en congé longue durée depuis trois ans.

Dans son livre intitulé Autobiographie d’un épouvantail, Boris Cyrulnick explique que « ceux qui mettent longtemps à se remettre d’un trauma ou ne s’en remettent jamais sont ceux qui ont été abandonnés par le groupe » (p. 44) et p. 49 « C’est bien en conjuguant ces trois paramètres : le développement du sujet et son histoire prétraumatique, la structure du trauma et l’organisation des soutiens post-traumatiques que l’on pourra collecter quelques critères de résilience. »

J’ai vécu deux traumatismes, alors que j’exerçais comme professeur des écoles.
Je me suis sentie isolée, abandonnée.
Je ne me suis jamais sentie accompagnée : ni au niveau juridique (trouvez-moi un avocat qualifié dans le droit public spécialisé dans le secteur de l’Éducation nationale !), ni dans le domaine de la formation, ni dans le domaine médical.

Je suis heureuse que les médias mettent au jour la souffrance des policiers. Celle des professeurs existe et donc ne vous étonnez pas que de moins en moins de candidats se présentent au concours de professeurs !

Si certains veulent rester aveugles, la population voit bien comment ils sont traités ! J’essaie de me reconvertir, mais j’en garde les stigmates. J’ai des réactions que je n’avais pas avant les traumatismes.

D’une part, j’ai travaillé dans des conditions de travail qui ont conduit mon corps à lâcher. Je ne maîtrisais plus mes émotions et j’ai encore du mal parfois quand je me retrouve dans des situations analogues à celles qui ont engendré ma souffrance psychique.

D’autre part, dans mes valeurs profondes, un responsable hiérarchique est supposé soutenir les collaborateurs dont il a la charge, leur donner des conditions de travail décentes et là, légitimement, réciproquement, comme l’employé a confiance en lui, il lui obéit. Moi, ma hiérarchie m’a laissée souffrir ou m’a fait souffrir alors j’ai de plus en plus de mal à obéir…

Je cherche un travail indépendant ou avec des conditions de travail qui ne me font pas souffrir et avec une équipe qui m’inspire confiance… à cinquante ans !

J’aimerais que ce témoignage ne soit pas publié. Je suis encore fragile, psychologiquement, et sans le soutien de ma famille, financièrement. Mais j’espère avoir donné des clés au reporter qui va monter ce reportage. L’Éducation nationale détruit des vies. J’ai appris le suicide d’un professeur, je ne m’en étonne pas. Je le sentais isolé dans son équipe et je crois qu’il vivait seul. Merci de me laisser un lien pour que je puisse voir l’émission ! Bon reportage.

— Enseignant en primaire, 11 ans d’ancienneté

L’auteur de ce témoignage n’autorise pas la reprise de ce témoignage par la presse.