Bonjour Mme L,
C’est en partageant le désespoir de J à la fin de son article intitulé A. (« quand j’en suis à citer Dumas, c’est que je commence à désespérer, cet auteur étant mon dernier rempart », écrit-il) que je vous adresse cet appel. Je vous prie d’excuser sa longueur, mais il me faut détailler un minimum de choses pour être claire.
Je me nomme D., je suis enseignante de lettres en collège depuis 1999 et j’ai exercé dans deux établissements, l’un en REP de campagne jusqu’en 2007, l’autre non loin de Lille, dans un établissement dit « favorisé », jusqu’en avril 2018.
Je suis actuellement en congé longue maladie jusqu’en mai 2019, suite à ce qu’on peut appeler le harcèlement d’une famille procédurière, appuyé par une principale d’une ineffable lâcheté, à la démagogie sans limites.
J’avais donné à une classe de quatrième, difficile — oui, malgré la belle vitrine de cet établissement, quelques classes posent éminemment problème — un poème au choix parmi trois sonnets du XIXe siècle. Le délai accordé était de cinq semaines. Un élève, perturbateur notoire qui avait été très absent en cinquième puis s’était « volatilisé » en fin d’année, avant de refaire son apparition en quatrième « sous dispositif MDPH », est arrivé le jour de la récitation en disant « qu’il ne connaissait pas son poème, que c’était trop difficile ».
Cet élève, « laissé bien tranquille » par l’ensemble de l’équipe, laquelle avait remarqué l’effet contre-productif du dispositif, mais ne souhaitait pas s’attirer les foudres de parents réputés procéduriers, a obtenu de ma part un 2 sur 20 pour la récitation effective de deux vers. Comme il s’agissait d’un troisième travail non fait ce trimestre-là et que je mets tout élève dans ce cas en retenue, je n’ai pas fait d’exception pour lui.
Dès le lendemain, coup de fil très énervé de la mère — un mot de la secrétaire m’exhortait dans mon casier à la rappeler d’urgence — qui fulmine en précisant que son fils savait son poème et qu’il ne ferait pas sa retenue. Devant cette attitude parfaitement injuste, je lui réponds que puisqu’elle conteste ainsi mon autorité, je ne noterai pas son fils en participation (notes en général très avantageuses, qui permettent de rattraper les catastrophes écrites). « Ah, c’est intelligent ! », finit-elle par pester, avant de lâcher un sifflant « Ça se réglera avec la direction ! »
Évidemment, les ennuis ne faisaient que commencer.
La principale s’était déjà illustrée par une insigne lâcheté lors de la réunion Gevasco du premier trimestre consacrée à cet élève. Alors que l’infirmière s’était insurgée contre le fait que H. regarde la télévision la nuit, arguant à juste titre des dégâts occasionnés par cette triste dépendance sur la qualité des apprentissages, Mme B. avait immédiatement noyé le poisson en soupirant que « ce pauvre garçon avait déjà assez de problèmes comme ça » et qu’on n’allait donc pas en ajouter… J’avais fortement tiqué à cette remarque, mais n’avais dit mot, déjà bien verrouillée par une autocensure parfaitement en place après onze ans d’exercice dans cet établissement clientéliste, et certaine que je ne serais évidemment appuyée par aucun collègue présent à cette réunion.
Lassée, si vous me permettez une expression plus triviale, d’être la « Coluche de service » (je fais référence à Deux heures moins le quart avant Jésus Christ), j’ai d’ailleurs développé un zona suite à une réunion ultérieure du même type consacrée à une autre élève, réunion au cours de laquelle Mme B. a aussi fait preuve d’une démagogie sans nom face à une élève notoirement fainéante et manipulatrice.
Suite à cette heure de retenue refusée par la mère, un jeu du « chat et de la souris » a débuté avec la principale, qui s’est mise à me convoquer pour me parler de multiples coups de téléphone de mécontentement (après vérification, il s’avérait qu’elle mélangeait des interventions de parents très disparates, dans l’unique but de m’intimider), avant de recevoir les parents d’H. en mon absence, me demandant de « rester dans les parages ». J’ai ainsi pu saisir, par le plus grand des hasards, le ton et quelques bribes de cet entretien, qui m’ont laissée pantoise : elle déroulait véritablement le tapis rouge au petit trio, se vantant de son « goût pour le management » et déplorant le manque de mobilité des enseignants au collège H..
Je passe rapidement sur la dégradation du comportement de l’élève suite à cet entretien, sur deux exclusions de cours qui m’ont été reprochées de manière sournoise (dos tourné lorsque je demandais ce qu’il y avait lieu de faire, fuite de l’infirmière face aux demandes de mise au point, insistance sur la détresse du pauvre garçon…) pour arriver à un étrillage en bonne et due forme, la veille des vacances de Pâques, lors d’un temps méridien très réduit où je n’aurais même pas pu me restaurer si je n’avais pas résisté à l’immédiateté de la convocation, alors que j’avais une journée de sept heures…
Étrillage effectué par l’infirmière, en présence de la principale, en ces termes : « M. T. (père de H.) a téléphoné, il était démonté, il menace d’alerter l’inspection académique avec l’appui de la MDPH pour dénoncer le fait que tu ne respectes pas le dispositif, enfin, il faut que tu arrêtes de te projeter (sic), je ne tiens pas à ce qu’à la fin, ce soit toi qui trinques, tu comprends ? »
Quels aspects du dispositif je ne respectais pas ?
Elle n’a pas été capable de me le dire.
Et, pour couronner le tout, la principale avait omis de parler, à l’infirmière comme aux parents T., de la dernière insolence de l’élève envers moi alors que j’avais essayé d’arrondir les angles, au terme d’une intervention de « 1 001 entrepreneurs », insolence formellement constatée par le jeune intervenant qui s’en était d’ailleurs ému.
En plus de cette omission, Mme B. a conclu que « ce n’était pas à elle d’arbitrer dans cette affaire ». Je suis sortie sonnée de cette mise en demeure parfaitement malhonnête, en acquiesçant mais dans un état second, à une proposition de réunion avec les parents le 7 mai.
J’ai alerté le syndicat auquel j’adhérais depuis 2013. Il s’agit du SNALC, et je crois nécessaire de le citer puisque vous en parlez page 38 de votre ouvrage Génération j’ai le droit. Je faisais effectivement partie, depuis 2013, de ces « collègues qui se font en général discrets » car, bien évidemment, un cordon sanitaire s’est établi autour de moi dès que je suis devenue ce qu’ils appellent « S1 » (simple représentante, en fait, dudit syndicat au sein de l’établissement).
Le premier jour des vacances de Pâques, j’ai téléphoné en pleurs à M. T., président du SNALC de Lille. Il m’a écoutée (il ne découvrait pas le problème, ayant eu par moi de multiples remontées et questions, jusqu’à un entretien de vive voix avant le congrès du syndicat au printemps) et lorsque je lui ai demandé d’assister à la réunion du 7 mai, parce que je ne me sentais plus capable de faire face à ces procès sans avocat que je connaissais trop bien, il m’a dit que ce n’était pas possible, qu’« il n’était pas habilité à le faire », qu’il lui fallait « l’autorisation du rectorat ». Je devais, selon lui, trouver un témoin, n’importe quel personnel de l’établissement, pour assister à cette réunion, ne pas parler, prendre le maximum de notes et les lui transmettre.
Évidemment, j’ai obtenu de la part de mes bienveillants collègues quelques refus ou réponses de Normands (nous étions en plus au début d’une période de vacances) et aucune confirmation à l’heure dite, ce qui a achevé de m’affoler, vu l’état de fatigue énorme et l’immense lassitude qui étaient miens.
L’arrêt maladie a commencé à ce moment-là.
Soufflée, perplexe devant ce refus étrange d’un responsable syndical prompt à exhiber son panache blanc, j’ai envoyé un mail à l’adresse électronique de J., pour demander les coordonnées de la GMF. Un certain T., de l’académie de Poitiers, m’a répondu assez rapidement, me transmettant le numéro demandé tout en me spécifiant que je devais d’abord demander l’intervention d’un membre du SNALC de Lille auprès de la direction de l’établissement, puisqu’ils étaient tout à fait habitués à le faire. Bille en tête, et de plus en plus anxieuse devant ces contradictions, je demande confirmation à une autre éminence du syndicat, M. E., spécialiste des questions de pédagogie, de fonctionnement administratif, etc. Confirmation que ce monsieur m’envoie aussitôt, en me précisant que ces interventions se sont toujours faites, dans diverses académies qu’il me cite, et qu’il est bien marri que le rectorat de Lille fonctionne différemment des autres ! Mais rien de plus. De mise en cause de M. T., point.
J’étais certes soulagée de découvrir que je n’étais pas une folle furieuse désireuse d’en découdre avec des parents d’élève ou ma hiérarchie, mais une enseignante dans son droit, fatiguée des remises en cause perpétuelles dues à un refus de la surnotation usuelle au collège H., et demandant le soutien d’un syndicat, chantre de l’exigence, qui ne s’est pas gêné pour empocher mes cotisations durant cinq ans…
Je confronte M. T. aux affirmations de la hiérarchie parisienne. Ce dernier ne se démonte pas, met en cause la trop grande ancienneté de M. E. qui n’exerce plus (!), déclare qu’il ne « connaît pas M. K. » et que le rectorat de Lille a effectivement des règles que ces gens ne connaissent pas.
Je me suis ensuite fendue, le 1er juin, d’un courrier désespéré de cinq pages, envoyé en recommandé au siège de Paris, à M. A., qui m’avait paru probe entre tous lors d’un congrès. Aucune réponse au bout d’un mois.
Devant ma détresse, une assistante sociale du CMP d’Halluin (auquel mon médecin traitant m’a adressée) a téléphoné audit siège, m’a obtenu une adresse électronique destinée aux réclamations, à laquelle j’ai renvoyé mon courrier de cinq pages. J’ai obtenu une réponse rapide, compatissante, accompagnée d’un memorandum de quatre-vingt-dix pages sur la souffrance au travail, ainsi que quelques conseils « bateau » sur la marche à suivre en cas de conflit dans l’exercice des fonctions d’enseignant. RIEN sur la responsabilité de M. T..
J’ai renvoyé une réponse indignée, me suis désaffiliée le plus rapidement possible de ce prétendu syndicat d’enseignants, qui n’est en réalité qu’un triste ramassis de co-gestionnaires du désastre. Je fus un temps séduite par le côté « non subventionné » dudit organisme… Laissez-moi désormais rire jaune.
Avec tout cela, il ne me restait que l’arrêt maladie.
Je me sentais — et me sens toujours — profondément écœurée, incapable de reprendre mon travail, décidée à faire tout autre chose. Oui, mais quoi ?
La responsable de la cellule RH du rectorat de Lille, rencontrée en septembre, n’a pas fait grand cas de mon récit et a conclu que « Mme Bertolotti était certainement fragile, et reportait sur moi ce qu’elle subissait ». Oh, la pauvre.
Je suis actuellement en attente d’un ATB en lycée, différé moult fois pour cause d’incurie administrative. Normalement, il devrait débuter le 25 janvier (il était prévu à la rentrée de la Toussaint). Mon médecin traitant, revu ce matin, découvrant avec surprise et inquiétude mon histoire de syndicat refusant d’intervenir (il avait probablement « zappé » cet épisode au mois de mai, saturé de consultations, obligé lui-même à l’abattage…), m’a conseillé de me rapprocher du conseil de l’ordre des médecins pour donner un tour juridique à la chose. Qu’en pensez-vous ?
J’ai caressé un bref espoir avec le « Pas de vagues », puis avec les Gilets jaunes, avant l’émergence des « Stylos rouges »… Espoir vite douché.
J’ai lu avec un soulagement énorme votre article du FigaroVox sur lesdits Stylos rouges, ainsi que les commentaires qui suivent. Nous sommes loin d’une prise de conscience.
Qui voir ? Qui contacter ?
Le numérique est une telle bulle de verre…
Je tenais en tout cas à vous dire que votre dernier ouvrage m’a permis de ne pas renoncer tout à fait. Je relis souvent les pages 57 à 59, qui me rappellent tellement ma situation…
En vous remerciant pour votre attention, Madame, je vous envoie tous mes vœux.
— Enseignant au collège, 18 ans d’ancienneté