Après 8 ans dans l’Éducation nationale en tant que professeur d’Histoire-géographie, j’ai décidé de changer complètement de voie professionnelle à la suite de ma récente réussite à un concours de la fonction publique.
Ayant enseigné dans un lycée réputé difficile pendant cinq ans puis dans un collège « moyen » des Hauts-de-France, je vais partir écœuré de ce métier que je n’exerce plus qu’avec dégoût depuis un an et demi.
Durant ces 8 années, j’ai été confronté à de nombreuses classes difficiles qui, au fil des années, ont eu raison de ma motivation : bavardages permanents et bruyants, interruptions toutes les deux minutes pour des remarques ou questions sans rapport avec le cours, jets de projectiles, cris, ricanements, sourires narquois, « bonjours » moqueurs dans les couloirs, contestations de punitions, et même quelques insultes, … la salle de classe ressemble parfois plus à une cour de récréation qu’à un lieu d’études. Non seulement, beaucoup d’élèves n’ont plus aucun goût de l’effort, ne s’intéressent à rien, considèrent le travail comme quelque chose d’accessoire, mais en plus manifestent une absence totale de respect pour l’enseignant qui doit subir l’indiscipline et l’insolence.
Ces comportements perturbateurs sont parfois atténués ou excusés par une hiérarchie qui explique que ces élèves ne sont « que des enfants », que c’est à l’enseignant d’intéresser les élèves et de tenir sa classe. Un de mes chefs d’établissement n’hésitait ainsi pas à expliquer les problèmes de discipline chroniques dans son lycée par le fait qu’il y aurait « des enseignants défaillants ». Non soutenu et même pointé du doigt, le professeur faisant face à l’insubordination de ses élèves se retrouve donc à la fois « victime » et « coupable », plongeant rapidement dans le cercle vicieux de l’auto-culpabilisation.
Si l’ambiance de classe n’a pas encore suffi à démotiver l’enseignant, un inspecteur descendu tout droit de l’Olympe n’hésitera pas à briser ce qui lui reste de son envie d’enseigner.
Inspecté trois fois en tant qu’enseignant titulaire, j’ai dû subir de mauvais rapports, le 2e se situant même à la limite de l’injure. L’inspecteur (un « chargé de mission ») y glissant peu de critiques factuelles (un corpus de documents que j’aurais dû limiter à deux principalement), mais y insérant des appréciations particulièrement dégradantes voire choquantes, notant ainsi que ma pratique témoignerait de « profondes lacunes pédagogiques » et mentionnant des éléments de ma vie privée pour mieux m’attaquer (mention d’une activité littéraire personnelle). Cette inspection fut suivie quelques semaines plus tard par l’envoi d’une lettre, remise par mon chef d’établissement, et affirmant cette fois que ma pratique pouvait mettre en « danger » la scolarité des élèves (!) et me proposant en outre un « accompagnement ».
Habité par une véritable conscience professionnelle (très peu d’absences au début de ma carrière, une véritable volonté de bien-faire, des cours soignés et des copies rapidement corrigées), passionné par ma discipline, estimant effectuer mon travail plus que correctement, je n’ai rapidement plus supporté cette double maltraitance : maltraitance « par le bas » (celle des élèves) et maltraitance « par le haut » (celle de la hiérarchie).
J’ai dès lors développé un véritable mal-être et un sentiment d’insécurité dans un métier que je considère désormais comme ingrat et dangereux pour ma santé mentale. Ce malaise s’est manifesté par une anxiété quasi-omniprésente durant les dernières vacances d’été, durant lesquelles a germé ma volonté de quitter l’institution.
En l’état actuel des choses, je ne considère plus l’Éducation nationale que comme une mascarade, une vaste garderie, où les élèves ont presque tous les droits. Mal payés, déconsidérés, méprisés, les enseignants n’ont d’autre solution que de « tenir » ou de quitter le navire.
— Collège, 8 ans d’ancienneté