Je travaille depuis dix ans dans des établissements qui accueillent une population très pauvre (c’est l’ancien bassin minier du Nord de la France). Ce ne sont pas les établissements les plus difficiles de la région.
Mon quotidien est l’insolence, le refus d’obéir et, à partir de la quatrième, l’arrogance d’élèves qui nous rient au nez. Ici, les élèves jouent à arriver en retard au compte-gouttes et à se cacher dans les couloirs. Quand on les rappelle à l’ordre, ils nous toisent et continuent leur jeu. Ils nous répondent, nous coupent la parole, mentent effrontément, et dès que les choses ne leur plaisent pas ils veulent sortir de classe, se plaindre à la direction (qui les reçoit). Ils se plaignent aussi à leurs parents qui, eux, menacent d’écrire au rectorat ou de porter plainte. Certains l’ont fait d’ailleurs.
Les professeurs comme les surveillants sont alors obligés de se justifier… Je vous passe la description de l’état mental du collègue qui se voit ainsi humilié et remis en cause.
Les élèves adoptent aussi des attitudes physiquement menaçantes. Cela m’est arrivé en novembre dernier. Cet élève a peu de temps après cassé le poignet à une femme de ménage, qui n’a pas osé porter plainte.
Il a fallu que ce même élève réitère son comportement menaçant envers un professeur pour qu’il soit exclu. Encore que l’administration a reproché à ce professeur d’avoir été trop dur avec l’élève.
Un surveillant a reçu des coups de la part d’une autre élève il y a quinze jours. Ce surveillant, visiblement incapable de la moindre autorité, embauché par erreur, est la risée de tous les élèves qui s’en prennent à lui de plus en plus violemment. Ce malheureux devient en retour de plus en plus agressif. Nous redoutons un accident.
Ici, il est fréquent que certains parents débarquent au collège, hurlant, insultant les surveillants, les profs, et parfois même la direction.
Ici, les professeurs s’entendent répéter comme un mantra « bienveillance » et « nous devons nous montrer exemplaires ». Car tout nous est reproché : on nous accuse d’humilier les élèves, d’être trop exigeants. On nous apprend que le bavardage incessant n’est pas du chahut. Les élèves sont impunis : ils sont indifférents aux heures de colle et au fond ne risquent rien.
Nous avons exclu des élèves, l’année dernière, vraiment ingérables, nous en avons exclu d’autres, cette année, mais cela ne semble pas calmer les ardeurs des autres.
Pour les punitions, nous sommes priés de proposer des punitions à valeur éducative et formatrices (appréciez le jargon… on jargonne beaucoup chez nous, on se pique de valeurs éducatives prenant en compte l’individualité de chaque parcours, appréciez encore le charabia).
Mais, au fond, tout se résume à cela :
Notre métier ici n’est pas d’instruire les élèves mais bien de tenir de notre mieux les classes jusqu’à la fin de la journée puis jusqu’aux vacances, avec des élèves qui savent qu’ils ont le pouvoir, à tout moment, de faire craquer un adulte puis de porter plainte contre lui.
Quant à l’instruction, notre direction nous rappelle bien que notre métier ne consiste pas à transmettre des connaissances mais à « permettre à l’élève de s’approprier ses propres outils pour pouvoir se former tout au long de sa vie ».
— Collège, 10 ans d’ancienneté