Je suis professeur (homme) en lycée professionnel depuis 2000.
En 2009, je me suis inscrit à l’agrégation interne d’histoire-géographie.
J’ai été admissible à ce concours, en 2009, 2010, 2011 (en 2012, j’ai fait une pause), 2013, 2014, 2015 et 2016.
Je n’ai jamais compris pourquoi je n’arrivais pas à être admis à ce concours.
J’ai demandé de l’aide à l’Éducation nationale, je n’ai eu aucune réponse et que des dégagements en touche de la part de mon inspectrice.
En 2015, après un 6e échec, je comptais arrêter.
L’inspection m’a alors contacté pour me dire qu’une formation allait être remise en place par l’ESPE et qu’il fallait que je m’y inscrive, que cela me donnerait des chances. Je l’ai fait.
On m’a demandé de partager mon expérience avec mes collègues (tous issus de l’enseignement général) pour qu’un maximum soient admissibles. En échange, je recevrais de l’aide pour l’oral. Inutile de vous dire que j’ai joué le jeu et qu’en guise d’aide je n’ai eu droit qu’à un oral blanc, conseillé par un collègue agrégé qui ne savait me dire qu’une chose : « Je ne sais pas comment j’ai fait pour avoir l’oral. »
J’ai compris aussi que mes camarades certifiés, eux, avaient droit à des petites séances privées : par bienveillance, l’ESPE leur avait attribué un « tuteur », collègue agrégé de leur établissement, pour qu’ils puissent mieux préparer leur oral blanc, oral blanc qui est devenu pour eux un oral blanc avec conseils sur-mesure.
En ce qui me concerne, l’IPR m’a dit que malheureusement, dans mon établissement, il n’y avait pas de collègues agrégés (en même temps je suis en lycée professionnel, c’est donc vrai). Donc, une fois de retour aux oraux, je me suis bien planté comme d’habitude. Un membre du jury, plus humain que les autres, que je voyais tous les ans, s’est débrouillé pour me parler 5 minutes. Il était sincère et m’a dit : « Je suis admiratif de votre travail. Mon devoir de réserve ne m’autorise pas à vous dire pourquoi vous échouez à chaque fois à l’oral, alors que vos notes à l’écrit augmentent (elles tournaient entre 11 et 16 sur 20 depuis 2013). La seule chose que je peux vous dire, c’est qu’enseigner en LP n’aide pas à préparer l’oral de ce concours. »
J’y ai réfléchi et j’ai donc décidé de présenter le CAPES interne par liste d’aptitude l’année suivante, puisque je remplissais les conditions. Mon inspectrice me dit : « Ça sera difficile de vous le refuser. » Logiquement, je deviens certifié stagiaire en septembre 2017 avec l’objectif clair de pouvoir repasser l’agrégation interne dès que j’aurai maîtrisé les programmes du général. Je suis nommé stagiaire dans un collège. J’ai la principale au téléphone assez vite. Elle connaissait mon parcours. Je lui demande un entretien individuel. Elle me répond : « On verra à la rentrée. »
À la rentrée de 2017, je redemande cet entretien. Réponse : je n’en ai pas besoin. Je préfère me faire une idée par moi-même. « Votre dossier ne m’intéresse pas ». Pourquoi pas. Je n’y prête pas attention.
Le jour de la rentrée des élèves, je vois la principale. Elle me demande : « Alors, pas trop dur pour un premier jour de stage ? » Après 15 ans de métier, je crois à une blague. Elle ajoute : « Vous savez, ça va être difficile de vous adapter. On n’a jamais vu un PLP devenir certifié et encore moins agrégé. »
Une semaine plus tard, elle vient me voir après les cours pour me demander comment ça va.
Je lui demande comment va se dérouler mon année. Sa réponse : « Je n’en sais rien. »
Je lui demande si je vais avoir un tuteur. Réponse : « Je n’en sais rien. »
Puis, elle me dit : « Vous savez, j’aurai un avis à donner pour votre titularisation et je me suis déjà fait mon idée. Je sais ce que je dirai, si je ne dois pas vous titulariser. »
Là, à ce moment, je crois halluciner : en un peu plus d’une semaine, elle commence à me dire qu’elle ne veut pas me titulariser.
Je lui redemande un entretien individuel, qu’elle refuse.
Quelques semaines plus tard, elle m’annonce que je vais avoir un chargé de mission qui va venir faire une visite.
Je lui redemande alors comment va se dérouler l’année, puisqu’elle à l’air d’avoir des informations de l’inspection. Elle me répond : « Je ne sais pas, c’est la première fois que j’ai un cas comme vous. »
Je ne sais pas pourquoi (mauvaise manipulation de sa part ou pour me déstabiliser), je reçois un échange de mails entre elle et le chargé de mission. Je comprends, à la lecture des mails, qu’elle m’a construit une image noire auprès de cet homme et qu’il vient pour faire une inspection à charge.
Le jour de la visite, il ne m’épargne rien. Première parole avant même que les élèves entrent en classe : « Ne vous inquiétez pas, je ne vais pas trop vous humilier. »
Pendant la séance, rien ne se passe comme prévu.
Il fait tout pour déstabiliser la classe, et moi. Il utilise son ordinateur, il entre et sort de la salle pour téléphoner, il se lève, s’assoit, utilise son téléphone en cours… là, je me rends compte que toutes mes années de boulot à passer l’Agrég interne sont réduites à néant.
Pendant l’entretien, je me retiens pour ne pas l’insulter. Lui ne se gêne pas : « Vous n’êtes pas mauvais, vous êtes très mauvais. » « Ce n’est pas un cours, c’est de la bouillie tout ça. » « C’est franchement de la merde votre démarche. »
Je ne me laisse pas faire, je lui montre mes documents de travail : « Si vous aviez reçu une formation de certifié, on vous aurait appris à faire un cours. »
Je lui rappelle que j’ai enseigné. Sa réponse : « C’est bien ça le plus triste. ».
Je lui donne des documents que j’avais préparés sur mon passé d’enseignant pour qu’il puisse me connaître. Sa réponse : « Les PLP et les bacs pro, je connais ; ce qu’on veut, nous, c’est du sérieux. »
L’entretien s’arrête.
On se rend à un déjeuner de travail avec la principale. Déjeuner, oui, mais certainement pas de travail.
Pendant une heure, il parle avec la principale et la collègue qui se serait généreusement proposée pour être tutrice. Tous les trois passent une heure à énumérer toutes celles et tous ceux qu’ils connaissent qui ont eu l’agrégation, avec des commentaires blessants :
« Pour être agrégé, il faut bosser »,
« si on a de la chance, on peut avoir l’écrit, mais pour avoir l’oral, il faut être bon »,
« l’avantage de l’oral de l’Agrég, c’est qu’on est sûr qu’il élimine les mauvais »
et enfin, la remarque qui tue : « Ceux qui pensent devenir agrégés ou certifiés autrement que par le concours, il faudrait qu’ils comprennent qu’être un vrai prof, c’est un métier »,
« j’ai connu une contractuelle qui a été trois fois à l’oral du CAPES et qui ne l’a pas eu : il faut qu’elle comprenne qu’elle n’a rien à faire dans un collège. Un lycée pro, peut-être ».
J’aurai dû quitter cette table, mais je m’étais tellement investi dans la préparation de l’agrégation, que je ne parviens pas à lâcher.
Et là, la phrase de trop.
La principale me regarde avec un petit sourire et me dit : « Comme je ne sais rien sur vous et que vous êtes discret et que vous ne me parlez pas de vous (je rappelle que je lui ai demandé trois entretiens individuels), j’ai pris la liberté de regarder dans Google pour voir si je trouvais des choses. » Effectivement, en tapant mon nom dans Google on trouve une page concernant mes activités de recherches historiques et une autre concernant un engagement politique. Elle ajoute : « J’ai trouvé ça très intéressant. » Et là, elle commence à fustiger habilement les élus locaux appartenant à ma famille politique et les deux autres la suivent.
Là, c’en fut trop : elle me refuse un entretien individuel, elle refuse (le chargé de mission aussi) de lire mes anciens rapports d’inspection, ma notation pour la hors classe, des éléments professionnels objectifs, et fièrement elle me sort qu’elle tape mon nom dans Google pour chercher des informations d’ordre non professionnel. Je quitte le dîner de travail furieux.
La suite, vous la connaissez : comme je comprends que je ne serai pas titularisé ou au prix d’humiliations dantesques durant toute l’année scolaire, j’écris à l’IPR et je lui fais part de mon désir de ne pas être titularisé et de retourner en LP. On me force quand même à accepter une tutrice (la principale me dit : « vous n’allez pas la faire passer à côté d’une prime de 450 € »).
15 heures de tutorat. Ça devrait passer vite.
Sauf que cette principale est une harceleuse en puissance.
Elle continue à me mettre dans la difficulté : elle me change de salle à chaque cours jusqu’en décembre en me prévenant au dernier moment.
Je mets des heures de retenue à un élève pénible, elle les enlève : comme ça jusqu’à fin janvier.
Elle m’en veut, semble-t-il, d’avoir signifié mon refus d’être titularisé : « Avec votre décision, je ne sais pas quoi faire de vous, vous ne me facilitez pas la tâche. »
En décembre, nous allons à une réunion de bassin d’enseignement. Elle est conviée.
Je retrouve mes anciens collègues, je m’installe avec eux dans l’amphi où se passe la réunion.
Le lendemain matin, elle vient me voir : « Quand on va à une réunion, on reste tous ensemble si non on n’est pas une équipe ; vos anciens collègues, c’est vos anciens collègues. » Je ne comprends pas.
Le tutorat aurait dû bien se passer : il y a 15 heures à faire, on les fait. Je tiens les comptes.
Fin janvier, je compte 14 heures de tutorat. J’en parle à ma tutrice et là, elle me sort : « En fait, il y en a plein qui ne peuvent pas compter ; on n’a fait que deux heures pas plus. » Là, je sens qu’on se moque de moi. Elle reprend : « J’en ai parlé avec la principale et, en fait, vu nos emplois du temps, on pourra faire du tutorat jusqu’à la fin de l’année. » Là, on me prend vraiment pour un con, il n’y a pas d’autre mot.
Je demande à rompre le contrat de tutorat. La principale s’en mêle et, une chance pour moi, elle se retrouve en arrêt maladie. C’est l’adjointe qui reprend le dossier.
La tutrice se prend de plus en plus pour une supérieure hiérarchique, m’envoie des mails pour me donner des ordres, pour m’ordonner de faire tel cours ou tel cours, de le faire de telle manière avec tel document.
Je réaffirme mon souhait de rompre le contrat de tutorat et je préviens que j’ai un syndicat derrière moi. À ces mots, la tutrice se calme, subitement, elle se rend compte qu’elle a recompté ses heures et qu’on a fait un peu plus que deux.
Heureusement pour moi, la principale adjointe a pris le dossier en main et se renseigne sur la procédure. Elle vient me trouver, me demande de rédiger un courrier. Deux jours plus tard, le contrat est rompu.
Quand, quelques semaines plus tard, la tutrice vient me trouver pour signer son compte rendu (sans quoi elle ne peut être payée), j’ai la satisfaction de voir qu’elle déclare 14 heures de tutorat effectivement réalisées.
Nous sommes en février, jusqu’en juin, je vais continuer à me faire harceler par cette principale, à me faire prendre de haut par des collègues qui considèrent le lycée pro comme une voie de garage.
Le plus drôle c’est quand le dernier PEJC de l’académie me sort que « le PLP, c’est pas bien dur à avoir, il faut pas un super niveau ». Je fais passer des oraux blancs du brevet (on m’a répété toute l’année que j’avais pas le niveau pour enseigner au collège, mais par contre je peux faire passer des oraux blancs) et que la collègue avec qui je suis, oriente des élèves sans connaître les filières. Elle leur explique qu’au LP, il n’y a plus d’enseignement général ou très peu (4 ou 5 heures par semaine pas plus). Je rectifie pour que l’élève comprenne bien et elle me dit (devant l’élève) : « Je crois que tu te trompes, il faut pas leur raconter n’importe quoi. » Je lui rappelle que j’ai fait 15 ans en LP et elle me sort : « Et ça te dérange pas d’avoir des élèves aussi nuls. »
Arrivent la dernière semaine et les deux dernières humiliations.
Salle des profs, ma tutrice qui boucle les derniers dossiers d’orientation avec sa copine.
Gros commentaires sur les élèves et elle me sort : « Ça, c’est le tas des nuls, tu peux les regarder : si tu veux, c’est toi le spécialiste de ceux qui n’ont rien à faire à l’école. » Voilà leur regard sur moi et sur le LP : un prof de LP, c’est le prof des nuls, de ceux qui n’ont rien à faire dans une école.
Et la principale : je lui demande l’autorisation de ne pas venir le vendredi à la réunion de préparation de la rentrée. Elle me répond en hurlant dans la salle des professeurs :« Ça me paraît évident que vous ne veniez pas à cette réunion, restez chez vous. » Je réponds : « C’est juste pour vous prévenir, pour être poli. » Elle hurle à nouveau : « Vous pouvez bien faire ce que voulez, qu’est-ce que vous voulez que ça me foute. »
À titre d’exemple, la principale du collège où je faisais 3 heures de complément de service, lorsque je lui ai demandé d’être dispensé de la réunion de préparation de la rentrée, s’est entretenue avec moi pendant 1 h 30 pour faire un bilan de l’année, me demander ce que j’en avais retenu, retiré de cette expérience. Elle m’a dit : « C’est dommage que vous ne restiez pas, on aurait besoin de gens qui sont passés par le lycée pro dans les collèges, ce serait très utile pour l’orientation. » Je dois avouer que dans ce collège, je n’ai jamais eu de problème et que même si je n’y passais que trois heures, mes collègues ne m’ont jamais pris de haut. La personne qui manage une équipe imprime une marque.
Aujourd’hui, je suis retourné dans mon lycée pro.
Je ne serai jamais agrégé alors que j’en ai largement et le niveau et les compétences.
Je n’ai pas rencontré les personnes qu’il fallait.
J’ai appris récemment que, depuis 11 ans qu’elle sévit dans ce collège, la principale est connue comme le loup blanc.
Aucun stagiaire qui est passé par ce collège n’a été titularisé dans les 11 dernières années.
J’ai aussi compris que l’Éducation nationale ne savait pas gérer les ressources humaines et que ça ne gêne personne qu’un multi-admissible à l’Agrég fasse cours à des CAP insertion professionnelle alors que ses connaissances et compétences seraient plus utiles dans une autre classe.
Cela ne me dérange pas, car les petits de CAP sont beaucoup plus reconnaissants que les autres et, pour eux, leurs professeurs comptent vraiment et leur savoir aussi.
Ça ne me dérange pas non plus, puisqu’en LP, avec les élèves qui partent en stage, je suis en gros à 14 heures de cours en moyenne sur l’année pour 20 heures inscrites à l’emploi du temps. Avec l’indice de bi-admissible, les HSA, les primes spécifiques au lycée pro, je gagne presque autant qu’un agrégé au même échelon.
Je fais autant d’heures qu’un agrégé, je gagne autant et… avec le faible niveau de mes petits, les corrections vont très vite et il n’y a pas besoin de préparer trop de cours. J’aime beaucoup les petits de CAP qui eux sont très reconnaissants.
Je me dis, avec le recul, que c’est ma revanche à moi : j’ai les avantages de l’agrégé, sans les inconvénients et en plus, j’ai des élèves gentils pour qui un prof représente vraiment quelque chose.
Celles et ceux qui m’ont pris de haut, cette principale qui m’a harcelé pour ne pas que je devienne agrégé m’ont rendu sans le savoir un grand service. Ils ne s’en rendront jamais compte, car le mot lycée pro leur fait tellement peur qu’ils n’y mettront jamais les pieds (et en même temps, on n’a pas besoin d’eux en LP).
— Lycée professionnel, 20 ans d’ancienneté