Mon école à Innimont (01)
Il faisait chaud dans notre classe ; un calme studieux succédait au vacarme des galoches sur le vieux plancher et la dame magicienne alignait sur le tableau noir des signes ronds, longs, dodus, mutins câlins qui crissaient du plaisir de la découverte.
Nous l’aimions bien notre maîtresse, elle guidait patiemment nos premier pas sur la route des grands, elle défrichait l’herbe folle de l’ignorance pour nous ouvrir à toutes les clartés et… suprême récompense, confiait à notre dextérité naissante le remplissage des encriers ! Ses doigts couraient, couraient sur le boulier.
Elle connaissait la géographie et l’art de jouer à “jauri-canari”. Elle sacrifiait son encre rouge pour le sourire de notre bonhomme de neige et lui donnait deux feux de braises directement tirés du vieux poêle. Grâce à elle des petites filles dansaient en ribambelle sur les carreaux et le soleil, poète et décorateur faisait chanter en couleur leur silhouette.
À elle nous devons aujourd’hui cette immense richesse : le plaisir de jongler avec les mots, de ciseler le verbe et de prendre nos gouttelettes dans l’océan du savoir.
La République, qui porta le savoir dans les lointaines campagnes, ne sut pas retenir les enfants. L’hiver était trop froid, et trop froide l’eau du lavoir ; trop lourdes les gerbes de tôlé et trop chaud le mois de juillet ; pas d’impératif plus exigeant que ces braves laitières qui vous enchaînent matin et soir à leur étable. La jeune maîtresse s’en fut porter sa belle humeur sous des vieux plus cléments et… meurt le village qui n’a plus d’enfants. Mais dans la classe désormais muette s’attarde un air de comptine ânonnée. L’air du temps où toutes les portes sont ouvertes, le temps de la sécurité.
Nous avons les mains blanches et les ongles carminés mais parfois, au détour d’une effluve resurgit la maîtresse et son boulier.