Depuis le début de l’année J. et L. me rendent leurs travaux sur des feuilles déchirées, rédigées au crayon de papier, avec des écritures complètement dépourvues de soin et d’effort.
La semaine dernière, je les ai punis (conjuguer le verbe « soigner »), éduqués (par politesse, on soigne sa copie) et menacés d’une heure de colle si jamais ils persévéraient.
Aujourd’hui, donc, contrôle :
L. me rend son travail sur une double feuille déchirée d’un cahier. Il affirme qu’il n’a pas de copie double chez lui. Comme il a soigné son écriture, je suis assez sotte pour accepter son travail, pensant qu’il a tant de soucis financiers dans sa famille qu’il lui est impossible d’acheter un paquet de copies.
J. me rend aussi son travail sur une feuille déchirée d’un cahier, et me soutient qu’il n’a pas de copie chez lui. Interloquée, je détourne un peu la tête… et je surprends J. en train de rigoler tout en gribouillant sur… une copie double !
Comprenant qu’il se moque de moi, j’exige son carnet.
Celui-ci me le lance avec violence à la figure ! Le carnet a fini sur le sol après m’avoir frôlée de justesse.
J’ai réussi à garder mon calme, à coller les deux élèves pour leur manque de soin et à affirmer sereinement à J. que je rédigerais un rapport.
La sonnerie a retenti… j’avais encore une heure de cours mais aucune envie d’enseigner.
Scandalisée, malgré mon expérience (j’en ai vu d’autres, je me suis fait traiter de sale p… l’année dernière), j’ai compris que si je refusais de délivrer ma dernière leçon par révolte contre cet irrespect, somme toute banal chez nous, le rectorat me le reprocherait en tant que faute professionnelle.
Que si j’avais saisi l’élève au collet et exclu de classe avec un coup de pied bien mérité au derrière, j’aurais immédiatement été accusée de maltraitance enfantine, et l’affaire aurait occasionné un immense scandale.
Que je n’avais pas le droit de refuser cet élève dans ma classe le lendemain, car le chéri a « droit à son éducation ».
Et finalement, c’est bien cela qui m’a le plus heurtée aujourd’hui : le rectorat est toujours prêt à nous reprocher, ici de n’avoir pas su garder notre calme (« exemplarité »), ici de n’avoir pas fait ceci, ici d’avoir eu des mots trop vifs, etc.
Jamais il ne vient à la pensée de ces beaux esprits qu’il n’est pas normal que des enfants se comportent ainsi.
Aujourd’hui, une collègue a dû essuyer les foudres d’un parent pour une affaire de notes. Une autre est en colère, car les élèves d’une classe entière lui ont ri au nez au lieu de se mettre au travail. La veille, une autre collègue s’est fait insulter par deux élèves. Nous sommes épuisés.
Bien à vous !
— Enseignant au collège, 11 ans d’ancienneté