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La santé et la sécurité au travail : alerte rouge !

J’ai 35 ans, bientôt 36. J’enseigne depuis 12 ans.

J’ai eu un accident de travail (accident de trajet en voiture en me rendant au travail) en 2015, l’expert a conclu seulement 2% d’IPP, malgré une contre expertise demandée sur les conseils de mon médecin traitant. Mon état n’a fait que se dégrader depuis cet accident. Nous avons ensuite découvert que j’ai une pathologie rare et cet accident a “réveillé” la maladie qui est aujourd’hui devenue très invalidante.

Je dois batailler, avec de grosses difficultés, pour obtenir des aménagements de poste et bénéficier du maintien dans l’emploi (j’ai la RQTH). Je suis apte à travailler, avec des aménagements raisonnables, mais on me conseille de me mettre en arrêt, alors que les conséquences d’un arrêt pourraient être dramatiques. Mon travail d’enseignante me passionne, malgré les difficultés que je rencontre pour enseigner, et c’est une énorme source d’énergie positive pour m’aider à affronter mon quotidien difficile. Pour chaque aménagement proposé, ils me disent que ce sera effectif uniquement sous réserve que je ne sois pas en arrêt de travail.

Conclusion = si j’étais en arrêt, j’aurais encore moins d’aménagements, et cela deviendrait un argument pour me juger inapte à assurer mes fonctions => ils me poussent dans cette direction fréquemment, ce que je trouve injuste.

Ils m’ont accordé seulement 4h d’aide humaine, après un an d’attente, donc c’est mon mari et mes collègues qui doivent assurer bénévolement le complément d’aide dont j’ai besoin.

Ils m’ont accordé les transports taxi uniquement lorsque mon mari n’est pas disponible (sous réserve de fournir un certificat médical ou convocation à une réunion), donc chaque semaine il y a 3 jours où je ne peux pas bénéficier des soins dont j’ai besoin car je dois attendre que mon mari puisse me ramener vers 18h à la maison.

La perte de salaire liée à mon temps partiel de droit n’est pas bénéfique puisque cela ne me permet pas de pouvoir effectuer mes soins chaque jour, ce qui implique que je dors très mal les jours où je ne peux pas les faire, et mon état se dégrade, avec des conséquences probablement permanente sur mon taux d’incapacité.

En raison de mes troubles auditifs, ils m’ont proposé de financer un casque antibruit et des prothèses auditives, sous réserve que je me débrouille pour faire des essais afin de leur dire ce qui peut convenir = mon mari a du m’emmener auprès de 3 audioprothésistes, 1 pharmacie, un magasin de bricolage et un fournisseur d’EPI pour professionnels afin que je puisse y essayer des aides techniques, parfois à mes frais (il n’était pas possible d’essayer certaines options sans les acheter, comme les bouchons moulés sur mesure, et le rectorat ne rembourse pas si cela ne convient pas au final).

J’ai effectué 4 signalements dans le registre RSST pour risques graves et imminents pour ma santé. Plusieurs semaines plus tard, toujours aucune mesure pour me protéger de ces risques, alors que j’y suis exposée quotidiennement.

L’année dernière, j’ai fait appel au défenseur des droits qui n’a pas pu intervenir, car je n’ai pas de refus écrit pour mes aménagements, juste des refus par téléphone (ex: refus d’augmenter l’aide humaine, les transports taxi, refus de m’accorder un RDV avec la médecin-conseil lorsque je l’ai réclamé suite à la dégradation de mon état) et des délais interminables pour aménager mon poste partiellement.

Une étude de poste par Cap Emploi a eu lieu en 2021, mais les aménagements validés par la médecin-conseil ne sont que partiels, ce qui a des conséquences problématiques sur ma santé.

Récemment, j’ai du me syndicat pour activer un autre levier afin qu’on m’aide, encore de l’argent que je dépense pour mon maintien dans l’emploi. Et en attendant, mon état continue de se dégrader. Mais je dois éviter d’être en arrêt pour prouver que je suis encore apte à être maintenue dans l’emploi.

Heureusement que j’aime mon métier, et que j’arrive à garder le sourire malgré mes douleurs omniprésentes, les difficultés et risques auxquels je suis exposée chaque jour, les élèves turbulents qu’on est obligé de garder dans nos classes, car il n’existe aucune solution adaptée pour eux, les salles où il faut continuer d’enseigner alors qu’il y fait parfois plus de 30 degrés et que les maux de tête liés à la chaleur sont insupportables, l’alerte incendie qui résonne à 105 dB alors que le code du travail impose aux employeurs de fournir une protection à leurs employés qui sont exposés de manière prolongée à un volume sonore supérieur à 85 dB (je suis coincée dans la cage d’escalier au deuxième étage, l’ascenseur est désactivé en cas d’alerte incendie ; pourtant la médecin conseil du travail a préconisé un casque antibruit en décembre 2021, malheureusement il n’y a toujours pas de protection 5 mois après, mon hyperacousie s’est aggravée au point que j’ai des acouphènes en permanence, particulièrement la nuit quand tout est calme, mais en l’absence de perte auditive, je ne peux même pas déclarer un accident du travail puisque les chocs sonores ne sont pas indemnisables sauf s’ils provoquent un perte auditive…

Heureusement que j’ai un mari formidable, car je suis rarement en état de m’occuper de mes filles âgées de 5 et 10 ans, il assume pratiquement toutes les tâches quotidiennes à la maison, il m’aide beaucoup à la maison et il m’aide beaucoup au travail (il enseigne dans le même établissement) et il m’emmène à mes nombreux rdv médicaux.

Heureusement que j’ai des médecins et plein d’autres personnes qui me soutiennent (association SED’In France, des bénévoles de France Acouphènes, MDPH, syndicat SNES, mes collègues, ma cheffe d’établissement, la gestionnaire de mon établissement, ma famille, mes amis).

Je ne peux qu’imaginer la fin tragique que j’aurais rapidement connue sans leur soutien.

J’ai besoin de ce travail pour trouver mon équilibre. Mais quand je vois les difficultés pour me maintenir dans l’emploi et faire valoir mes droits, je suis inquiète pour toutes ceux et celles qui sont seul(e)s ou mal accompagnés. C’est déjà un métier que je qualifierais de difficile à la base.

Récemment j’ai vu une campagne publicitaire de recrutement de personnels en situation de handicap par l’Education nationale. WTF ?! Fuyez si votre santé dépend d’aménagements qui doivent avoir lieu rapidement pour que votre état ne se dégrade pas !

Ce métier pourra (peut-être ?) vous convenir si vous êtes un guerrier hyper courageux qui n’a pas peur de travailler dans un cadre bruyant et parfois hostile, un superhéros très patient face à des classes trop hétérogènes ou des parents qui ont tendance à critiquer facilement les enseignants, un sain qui s’épanouit en aidant les autres – parfois en y laissant quelques plumes, un expert en pédagogie différenciée qui a un don pour enseigner une matière avec bienveillance, un leader talentueux qui saura faire régner l’ordre sans semer la terreur, un employé polyvalent capable d’animer des heures de garderie avec des adolescents surexcités après les conseils de classe du 3e trimestre (ex : environ 3 semaines de garderie avec des 3e qui n’ont peur de rien car ils quittent le collège en fin d’année), avec une flexibilité à toute épreuve pour palier au manque de moyens et de solutions (décrochage scolaire, salle pas adaptée, emploi du temps pas adapté, …).

— Collège, 12 ans d’ancienneté

L’auteur de ce témoignage autorise la reprise de ce témoignage par la presse.