Souffrance par procuration

Très chers,

Après des années passées à l’étranger en tant que fille d’enseignants expatriés, mon rêve le plus cher était d’intégrer le corps enseignant et pouvoir briller et faire briller les élèves grâce à l’Éducation nationale.

Je suis professeur depuis 1999 et j’enseigne en banlieue parisienne depuis 23ans dans un Collège REP typique de banlieues.

J’ai été confrontée à toutes sortes de problèmes liés à la violence morale et physique et j’ai vu des dizaines de collègues en grande souffrance qui finissaient souvent par démissionner, si ce n’est à tomber en dépression.

Tout notre système est en grande défaillance et notre hiérarchie ne nous écoute plus, bien au contraire, ils nous rabaissent sans cesse et nous humilient parfois.

Non seulement les élèves agissent comme des sauvageons, mais en plus, nous ne pouvons rien pour les redresser, car nous sommes rappelés à l’ordre sans cesse.
On nous demande d’être bienveillants, de ne plus mettre de sanctions ni de notes. Nous devons fonctionner par compétences et valoriser l’élève adolescent à longueur de journée.
Lorsqu’il y a un problème de discipline, c’est d’emblée l’enseignant le fautif. Les valeurs sont inversées.

Les élèves nous maltraitent, nous empêchent de faire nos cours, nous chahutent, nous accusent de racisme à tout bout de champ pour un oui ou pour un non. Ils savent sur quel pied danser, eux !

Malheureusement, mes collègues de plus en plus jeunes ignorent comment s’en sortir sans blessures morales.

C’est devenu un métier dangereux et ingrat où les disciples sont rois et les maîtres sont des moins que rien.

Si ce ne sont pas les parents qui nous menacent, ce sont nos chefs qui le font.

Aucun soutien sinon une certaine hypocrisie qui se maintient.

Je vis et travaille à dix minutes du collège du bois d’ Aulne de Conflans et pourtant, l’affaire atroce de Samuel Paty tombe aux oubliettes.
Dès lors que nous, enseignants, nous désirons nous plaindre de l’attitude violente de certains élèves extrémistes et cruels, nous finirons seuls et désemparés sans aucune solution proposée.

La violence et la haine contre les “sales Français blancs” (c’est comme ça que certains élèves nous appellent) sont banalisées.

Nous devons fermer les yeux sur les insultes, les menaces, les :” wallah”, les “sur le coran de la Mecque”, sur :”Vous êtes raciste”… à longueur de journée.

Sous prétexte que ce sont des cas sociaux défavorisés, nous devons nous rabaisser déjà à leur proposer des dizaines d’aides différentes et ne plus faire un cours en entier pendant que les quelques autres élèves qui veulent s’en sortir finissent à côté d’un vilain ou à attendre que le professeur finisse d’appliquer sa pédagogie différenciée sur l’élève :” dit difficile ” ( un pseudo voyou en vrai, que nous laissons triompher).

Je ne parle même pas du niveau qui chute et qui pourtant est caché derrière des chiffres de résultats inouïs.

Des réussites au brevet sans le niveau requis de lecture ni d’écriture.

Des évaluations adaptées voire modifiées pour que l’adolescent obtienne son orientation en lycée après être passé dans le bureau des chefs d’établissement qui, par miracle, trouve une solution adéquate. Alors que d’autres élèves discrets et aux résultats moyens doivent, eux, redoubler.

Mes jeunes collègues n’en peuvent plus. Les arrêts maladie se répètent et les mutations se multiplient.

Aucune stabilité.
Cercle vicieux : les élèves savent très bien que les enseignants sont nouveaux et qu’ils peuvent les boycotter à jamais.

Tout ça, je le vois, je le vis, je souffre malgré le fait d’être moi-même respectée et aimée dans cet établissement où j’ai enseigné à leurs parents (c’est peut-être la raison pour laquelle j’ai leur respect… ça ne tient pas à grand chose).

Tout est déconstruit.

Nous ne leur donnons plus la chance d’apprendre. Plus de dictées, plus d’algèbre, plus de règles de vie, plus de morale, plus de punitions, plus de discipline…

Le collège est devenu une garderie.

Je vous laisse, le cœur et l âme en peine.

Bien à vous

— Collège, 23 ans d’ancienneté

L’auteur de ce témoignage autorise la reprise de ce témoignage par la presse.