J’ai eu le privilège de réussir le CAPES en Histoire-Géographie il y’a 7 ans. C’était un concours relativement relevé donc je me suis senti très fier d’être admissible puis admis.
Tout avait bien commencé ! Une année de stage dans un lycée de banlieue parisienne, une tutrice de stage très humaine et conciliante, des camarades de promotion accessibles, puis une année de titularisation sur deux collèges (dont un REP) mais qui s’est assez bien passé malgré des élèves difficiles et décrocheurs, une rencontre avec une femme que j’avais demandé en mariage… et qui m’avait dit “oui”. Et mon histoire aurait pu se terminer par une affectation en poste fixe dans un établissement très tranquille de centre-ville de Champigny-sur-Marne… mais non !
Survient cette affreuse année 2019-2020 (ma quatrième année) avec une nouvelle affectation sur deux collèges (dont un REP), des semaines interminables puisque, naïf et crédule, bonne poire que j’étais, la direction de mon RAD (établissement de rattachement administratif) m’avait fait croire qu’il était possible et bénéfique que je fasse 9 heures (dans un autre collège) en plus des 15 heures (que j’avais déjà donc dans mon RAD). J’ai bien sûr contacté les syndicats. La cousine de ma compagne, étant elle aussi enseignante et syndiquée, m’avait indiqué que je pouvais accepter 21h et refuser les 3 heures manquantes. Mais, je ne saurais pas dire pourquoi : j’ai accepté les 24h.
C’est, je pense, la pire décision de ma vie professionnelle et ce qui m’a lentement précipité vers les enfers. Oui… les enfers…
J’avais donc des semaines de 24h. Je quittais ma compagne tous les matins (du lundi au vendredi) à 7h20. À l’époque, j’étais habité par une conscience professionnelle très prononcée donc j’arrivais en avance (10-15 minutes avant le premier cours) au travail très souvent. Tout cela, pour commencer mes cours à l’heure, voir des élèves (toujours les mêmes) arriver en retard (de septembre à mars) avec leurs grands sourires narquois, insolents, méprisants, bénéficiant de la complaisance de la direction (dans l’autre collège – REP) qui se réjouissait de la présence des élèves au collège. “Au moins, les élèves sont présents. Ce n’est pas grave si ils sont toujours en retard et qu’ils ne font pas grand chose en cours.” Cette ambiance “garderie”, dans laquelle j’ai été plus que jamais traité comme un “garçon de café” m’a beaucoup affecté. J’avais donc 3 classes (9h) dans cet établissement REP, 3 classes de 4e…
J’ai rencontré les pires élèves de ma carrière après 3 années idylliques. Bien sûr, il y’avait aussi des élèves volontaires et travailleurs dans ces classes mais l’ambiance était tellement malsaine qu’il était très laborieux de mettre tout le monde au travail. Convocations auprès de la direction, diffamations sur ma personne, rires insolents, bavardages constants durant les cours… Dès que je mettais les pieds dans ce collège, je savais qu’il serait difficile (voire impossible) de faire un cours “normal”… Les DM n’étaient pas faits, pas rendus, les leçons n’étaient pas apprises… Bref, le travail n’était qu’une occupation annexe dans ce cadre qu’on présentait comme scolaire et éducatif.
Ah oui, et le COVID est arrivé comme un soulagement… Enfin jusqu’à ce qu’on nous parle de “continuation pédagogique”… Alors ça, franchement, ça a été le coup de grâce à ma motivation. Confiné, avec ma compagne de l’époque, je postais mes cours pour la journée le matin avant 10-11h, je guettais les retours inexistants des élèves (et des parents). Je me rappellerai toute ma vie du message Pronote d’une maman adressé à la PP d’une classe qu’on avait en commun : ” Je ne cible personne mais les cours d’Histoire-Géographie ne sont pas adaptés pour mon fils.” Pas d’explications, de demandes supplémentaires… Juste un constat gratuit et visant sans doute à me décrédibiliser davantage. Beaucoup d’élèves n’avaient pas d’ordinateurs disponibles à la maison pour suivre les cours. Parfois même, les élèves n’avaient pas spécialement envie de suivre les cours et noter dans leurs cahiers ce qui était publié pourtant sur Pronote.
Cette atmosphère a eu raison de ma santé mentale. Je réfléchissais beaucoup, je ne dormais plus trop, je ne pouvais pas sortir (car confiné), j’étais désagréable avec mon ex-compagne… Elle est partie, revenue… plusieurs fois… Et un jour, avec l’appui de ma sœur et de ma mère, j’ai été amené aux urgences psychiatriques. Ça a été très violent ! Je me suis débattu, percevant une foule d’injustices et d’insanités, avant d’être sanglé pendant 2 bonnes heures sur une civière. On dit que ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort… Je suis resté deux semaines en HP avant de sortir et qu’on m’administre un traitement médicamenteux trop fort.
J’ai tenu à assurer mes cours (en distanciel puis en présentiel) quand est venu le déconfinement. Tout cela m’a beaucoup affaibli mentalement. Mon ex-compagne a supporté tout cela pendant de longs mois avant de finalement partir… Pour de bon cette fois… Quelque chose en moi a changé… Alors c’est peut-être la faute au COVID aussi hein ? Mais je pense que l’Éducation nationale ne m’a pas spécialement aidé à traverser cette période de troubles au mieux.
La hiérarchie attend de nous, enseignants, qu’on soit totalement imperméable aux critiques infondées, aux insultes, aux affronts, aux moqueries, à la violence très subtile de tou(te)s comme si on devait dissocier notre identité personnelle de notre identité professionnelle… Or, je pense être devenu enseignant pour créer, partager et construire du savoir dans la joie et la positivité. Je suis comme ça dans la vie… ou du moins j’étais…
2 ans plus tard, je suis maintenant affecté en poste fixe dans le bahut REP où j’ai rencontré les pires élèves de ma carrière. Les trajectoires sociales des élèves sont toujours aussi compliquées. J’arrive sans me presser au collège. Les élèves arrivent toujours en retard sans que d’autres adultes s’en préoccupent vraiment.
En 7 ans, j’ai vu et entendu beaucoup de choses : du bien, du mal, chez les élèves, chez les parents, chez les collègues, à la Direction, par des potes… Je n’ai pas encore tout démêlé.
J’ai lu les témoignages des autres collègues sur cette plateforme. Et bien souvent, j’ai eu l’impression de lire mon expérience mots pour mots et lignes pour lignes. À vrai dire, je ne me sens pas vraiment rassuré par ce que j’ai lu. J’accorde, bien évidemment, beaucoup de crédit et de sollicitude à tous ces témoignages. Mais, je suis inquiet pour l’avenir des jeunes (en tout cas la plupart) et très sincèrement résigné quand je vais au boulot maintenant. J’ai l’étiquette du “prof méchant” parce que je suis exigeant et que je me recadre, du mieux que je peux, les élèves. Les élèves n’ont pas de pression particulière quand ils sont en retard, absents, ou gênants pour le bon déroulement des cours… Ils craignent plus l’autorité familiale et/ou virile que l’autorité de l’institution scolaire.
Moi, pour le moment, j’ai perdu beaucoup plus que ce que j’ai gagné en acceptant le travail : mon envie de bien faire, ma créativité, ma joie d’enseigner, de partager et de rire… et mon ex (dont j’étais très amoureux au passage).
En l’état actuel des choses, l’enseignement (public), en France, est une vaste mascarade. Un spectacle fait de statistiques, de couleurs (#bilansdecompétencesquiremplacentlesbulletinsavecdesnotes), de formes… Les élèves viennent au collège (ou au lycée) mais pas, toujours, pour y apprendre ce que les adultes voudraient… Bref, un dialogue de sourds quotidien, que dis-je mensuel, pluri-annuel, perpétuel…
L’acte d’enseigner et de partager le savoir est toujours quelque chose de noble à mes yeux. À vrai dire, tout le monde le fait… Mais comme, nous, enseignants, nous ne sommes pas des Youtubeurs à 5 millions de vues, nous sommes, aux yeux de nos enfants, des ratés, des gens indignes d’être écoutés et respectés… “Et vous gagnez combien par mois, Monsieur ?” “Mais, pourquoi vous achetez pas une voiture ?” “Et vous êtes propriétaire ?” “Marié ?” “Vous avez des enfants ?”…………………. :/
Dans tout ça, je peux juste faire cours sans que l’un ou l’une d’entre vous me pose des questions lunaires et loin des sujets du programme ?
Je ne sais pas pour combien de temps je vais encore rester dans l’E.N.
Vive la République !
Vive la France !
— Collège, 7 ans d’ancienneté