Voilà, c’est fini.

Jamais je n’aurais crû en arriver là au bout de 30 ans ; une vie devant des enfants de toutes origines et de tous milieux.

J’ai fait ce métier pour honorer des valeurs comme l’égalité des chances et la liberté par le savoir. Aujourd’hui, je ne sais plus quel métier je fais à part “garder les enfants” pour que leurs parents aillent travailler.
J’ai une classe difficile de cm1, des enfants en souffrance avec divers troubles : dyslexie, TDAH, anxiété extrême, parents déchus des droits…

Tous dans une même pièce à 26 pendant 6 heures… On essaye de faire quelque chose qui ressemble à de l’apprentissage, c’est d’abord un tissage relationnel, éprouvant. Pas de cadre, de limites, on parle, on se plaint, on a mal au ventre, on se dispute…

Peu de place pour le calcul et la lecture. J’arrive à créer un climat de classe convenable au bout de 2 mois. Les enfants deviennent des élèves. Quand… Patatras…

Des parents des élèves les plus performants se plaignent de moi à l’inspection : “Les enfants ne s’épanouissent pas et elle ne fait pas le programme.” Que fait l’inspectrice ? Recadre t-elle des parents sans limite qui lisent trop de psychologie positive ? Non, elle me propose de venir voir la classe pour calmer le jeu, pour rassurer tous ces gens inquiets de voir leur progéniture régresser… Faut-il partir d’un fait pour se plaindre ? Non, il suffit du ressenti, voyons, comme sur les réseaux ! Tu n’ aimes pas ton enseignant ? C ‘es qu’elle est nulle, car tu l’aimerais si elle était bonne !

Voilà le raisonnement du nouveau parent d’élève : ce que je ressens est la vérité !

Quand moi j’essaie de transmettre tout le contraire depuis 30 ans : la connaissance n’est pas la croyance ou l ‘affect, on apprend à penser avec la raison.

Si on n’aime pas son prof, on le respecte quoiqu’il arrive. Je suis vieux jeu, dépassée, discréditée. Le collectif est un gros mot, seul compte l’individu, MOI et mon ressenti, mon trouble, ma différence. Je suis HYPERsensible, HYPERactif, HYPERindividualiste.

Je ne PEUX plus enseigner, trop de pollution psychologique, trop d’injonctions contradictoires, alors je dois sortir de ce bourbier pour sauver ma santé mentale, car seule contre la bêtise, on ne peut rien et la bêtise, méchante et contagieuse, c ‘est le pire ennemi de l’enseignante.

Elle tisse sa toile chaque jour sur la toile… Elle est en train de gagner.

Mon institution est devenue lâche et complice de la malveillance envers les enseignants. Je ne l’aime plus , je la quitte. Voilà c ‘est fini.

— Primaire, 32 ans d’ancienneté

L’auteur de ce témoignage autorise la reprise de ce témoignage par la presse.