Allocution de Michel Decobert au cimetière de Bonnières sur Seine.
En cet après-midi d’octobre 1953, l’Ecole Normale d’Instituteurs de Versailles bruissait des propos de la rentrée. Jeunes élèves admis au récent concours nous attendions, tendus, d’aborder l’inconnu. Vous nous avez accueillis le lendemain, en cette salle des fêtes maussade dévolue durant la semaine à votre enseignement. À l’écoute de notre programme annuel, nous avons retrouvé ce regard bleu acier, affrontés lors des épreuves orales du concours, intimant devoir être et déférence. En dépit de la jachère, voire de l’inculture musicale de beaucoup d’entre nous, les termes solfège, solmisation, chants, destinés à nos lointaines classes, histoire de la musique et chant choral ne laissèrent pas de nous inquiéter. Considérée à cette époque comme art d’agrément, l’éducation musicale allait se muer, sous votre impulsion, en une activité d’éveil à dominante artistique noblement servie.
Qui, à la tête de médiocres soldats aurait osé donner l’assaut à “la damnation de Faust” d’Hector Berlioz laquelle, guidée par votre énergie sans cesse renouvelée, offrit au mois de mai 1954 un concert inoublié ou note chœur épousa les voix d’artistes lyriques talentueux ?
Qui aurait su durant quatre années, insuffler à des potaches une pratique suffisante pour que leurs classes chantent et que certains de leurs enseignants se vouent au chant choral, bénéficiant alors de votre soutien ?
Six décennies après, alors que notre parcours professionnel s’est achevé, du professeur des écoles à l’universitaire, l’ensemble de vos élèves, dont beaucoup devinrent vos amis, évoque et évoquera Roger BLIN avec une affectueuse déférence, ayant pressenti en leur adolescence que l’humaniste, l’homme de conviction et l’artiste ne pouvaient se dissocier. Humaniste, vous nous avez respectés en prenant pour fin nos individualités et leur épanouissement, artiste vous nous avez entraînés sur le long chemin qui de Couperin à Ravel nous appris à vibrer au chromatisme des genres.
Cher Roger, vous m’accordez ce jour beaucoup d’honneur en m’autorisant cet échange avec vous au nom de ceux dont la fidélité vous est depuis longtemps acquise car vous êtes et resterez pour nous un être cher et un “grand Monsieur”.