La professeure de français du collège technique avait misé un jeton gagnant sur ma tête. Elle avait, sans que je le sache, organisé une collecte auprès des autres enseignants pour me fournir les outils que je ne pouvais pas payer… Pourtant je ne partageais pas ses idées, et je lui faisais comprendre en développant dans mes dissertations des idées opposées aux siennes. Le duel des idées !
Elle et moi avions pris goût à ces joutes épistolaires et même oratoires. Je pense qu’elle les a volontairement entretenues pour doper mon penchant à la controverse. Mais j’étais trop jeune pour réaliser cela.
Un jour cependant elle déclara :
« Vous êtes capable d’analyses rarement rencontrées dans un milieu technique. Mais pourquoi diable êtes-vous venu vous fourvoyer ici ? »
Elle ajouta :
« Changer d’orientation il en est encore temps. Faites donc des études, classiques, je vous y aiderai. Plus tard vous pourriez faire, euh… avocat, oui c’est cela, un bon avocat. Vous avez tout ce qu’il faut cela ! »
Sur l’instant je l’ai détestée. Comment pouvais-je m’être trompé à ce point sur moi-même ?
Mais plus tard, j’ai réalisé la justesse de vue de ce professeur perspicace. La technique avait fini par m’ennuyer. J’ai changé de route, j’ai suivi ses conseils, et je me suis pleinement réalisé. J’ai voulu qu’elle le sache. J’ai conservé son adresse. Mais trop tard, elle s’était envolée au paradis des profs sans savoir combien elle avait compté pour moi.